les écrivains filment #2
Contre le cinéma, tout contre
Jeudi 28 octobre 2010
20h30 – IMEC
Guy Debord / Alain Jouffroy / William Burroughs & Brion Gysin
Bernard Heidsieck & Françoise Janicot
Henri Chopin / John Giorno & Antonello Faretta
Soirée en présence de Fabien Danesi (critique d’art et écrivain, auteur du Le mythe brisé de l’Internationale situationniste : l’aventure d’une avant-garde au cœur de la culture de masse (1945-2008) et Alain Jouffroy (critique d’art et écrivain)
« On entend parler de libération du cinéma. Mais que nous importe la libération. Le cinéma est à détruire aussi. (…) » Guy Debord, Sur le passage….
« Au moment où la projection allait commencer, Guy-Ernest Debord devait monter sur la scène pour prononcer quelques mots d’introduction. Il aurait dit simplement: Il n’y a pas de film. Le cinéma est mort. Il ne peut plus y avoir de film. Passons, si vous voulez, au débat. » Guy Debord, Hurlements…
Au cœur des avant-gardes du 20e siècle, c’est souvent depuis le dehors du cinéma, et depuis des pratiques poétiques, littéraires, théoriques ou plastiques, que les entreprises de destruction ou de révolution du cinéma les plus radicales se sont faites jour. Le situationnisme de Guy Debord en est une des plus puissantes expressions. Avec son deuxième film, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959), le théoricien révolutionnaire poursuit l’entreprise amorcée dans Hurlements en faveur de Sade (1952), entreprise « de terrorisme cinématographique », le cinéma étant envisagé alors par Debord comme lieu maximal de la passivité et de l’aliénation du spectateur.
Pourtant, Sur le passage… qui est sûrement un des plus beaux films de Guy Debord, est aussi le lieu d’une certaine positivité. Debord y emploie pour la première fois le processus du détournement, théorisé dans un manifeste éponyme, co-écrit avec Gil J. Wolman en 1956, réutilisant des extraits de films ou de textes.
« Nom : Jouffroy Prénoms : Alain Jean Marc Né le : 11 septembre 1928 à : Paris XIVème Nationalité : française Adresse : illégale Taille : 1.80 m Signe particulier : néant Signe général : depuis l’âge de 18 ans, espère un changement total du monde…. (…) » Alain Jouffroy, L’abolition de l’art
Réalisé en 1968, cet unique film de l’écrivain, artiste, poète et critique d’art Alain Jouffroy préfigure la radicalité de mai. L’abolition de l’art constitue une attaque en règle contre le culte de l’art et sa spécialisation, les figures du pouvoir et de la patrie. Alain Jouffroy a dirigé la revue XXe siècle, fondé Opus, la revue d’art internationale publiée par Georges Fall et publié de nombreux textes et livres sur l’avant-garde.
Towers Open Fire (1963, de Antony Balch, William Burroughs, Brion Gysin et Ian Sommerville) est issu des noces entre le cinéma et la poésie des géants de la Beat Generation. Les traductions filmiques de la poésie de William Burroughs et du poète, plasticien et musicien Brion Gysin furent à l’image de leur écriture : expérimentales et faisant appel à la technique du “cut-up”, méthode chaotique et aléatoire dérivant du collage dadaïste, prélèvement de fragments de textes et d’images, assemblés dans le but de faire émerger de nouvelles significations. Burroughs travailla dès 1959, à partir de cette méthode, avec Brion Gysin, qui en fit la découverte le premier. Au cinéma, ils réalisèrent notamment Towers Open Fire et The Cut-Ups, avec l’anglais Antony Balch, deux films travaillés par un collage musical et visuel également obsédants. On aperçoit dans Towers Open Fire la mythique Dreamachine, dispositif mis au point par Brion Gysin et l’informaticien Ian Sommerville en 1960, machine à produire des images hypnotiques et d’autres seuils de réalité. La Dreamachine représente en fait le cinéma lui-même, à son état le plus pur.
Pionnier de la poésie sonore, artiste collagiste, peintre, musicien, auteur de théâtre et éditeur, Henri Chopin fut un magistral passeur de frontières entre expérimentations vocales, sonores, poétiques et filmiques. Réalisé en 1965 avec l’artiste pop italien Gianni Bertini, L’Énergie du sommeil associe une bande-son de Chopin, entre souffle, musique, bruit et poésie, et une fragmentation visuelle somptueuse de la mécanique respiratoire.
La poésie-action de Bernard Heidsieck, poète majeur du XXe siècle, a correspondu à une volonté d’expulsion du poème de la page pour mieux le connecter avec l’environnement social, l’action, le corps, la performance. Cet adieu à la page propulsait le poème dans l’espace par le dire et la rencontre avec le public. A l’instar du Portrait-Minute, la lecture à voix nue d’Heidsieck fut filmée à de nombreuses reprises par Françoise Janicot, plasticienne et cinéaste.
John Giorno est une figure centrale de l’underground new-yorkais des 60’s, proche du mouvement beat et d’Andy Warhol dont il fut le « dormeur » du célèbre Sleep. John Giorno met au point en 1968 un système original de poésie téléphonée Dial-A-Poem qui tente de rendre la poésie accessible à la culture de masse. Il fonde également une société de disques, la « Giorno Poetry Systems », innovant par l’utilisation de technologie en poésie. Il est aujourd’hui un poète-performeur incontournable et notamment l’inventeur de la Performance Poetry, lecture vivante et intense réalisée face au public. The Death of William Burroughs est une performance filmée de John Giorno, extraite du film Nine poems in Basilicata (2005) du réalisateur Antonello Faretta.
Films projetés : Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, Guy Debord (1959, 18min) l L’abolition de l’art, Alain Jouffroy, (1968, 14 min) l Towers Open Fire, Antony Balch, William Burroughs, Brion Gysin et Ian Sommerville, (1963, 10 min) l Portrait-Minute – A Apollinaire, Françoise Janicot, en collaboration avec Renée Beslon, (1968, 3 min) l L’Energie du sommeil, Henri Chopin, Gianni Bertini, Serge Béguier (1966, 6 min) l The Death of William Burroughs, John Giorno, Antonello Faretta (2005, 4 min)
Textes et programmation: Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros