Jan Karski, l’Histoire et la fiction
Haute Ecole d’Art et de Design, Genève
Semaine du 17 au 21 février 2014
En 2009, l’écrivain français Yannick Haenel reçoit le prix Interallié pour son roman « Jan Karski » paru chez Gallimard, basé sur la vie du résistant éponyme, diplomate et courrier du gouvernement polonais en exil à Londres, témoin dès 1942 de l’horreur des camps nazis et chargé d’alerter les Alliés du sort réservé aux Juifs d’Europe. Jan Karski rencontre en 1943 le président Américain, à la Maison Blanche, durant un long entretien. Deux documents diplomatiques en attestent mais personne ne sait avec exactitude, ce qu’ils se sont dits, ni comment a réagi Roosevelt au récit de l’insoutenable. Souhaitant « témoigner pour le témoin », Yannick Haenel imagine dans la troisième partie de son livre, le déroulement de cette rencontre, et propose – face aux silences des archives, aux silences des témoins – une fictionnalisation de l’Histoire, à partir d’une approche délibérément intuitive. S’en suivra, durant tout le premier trimestre 2010, une très vive polémique, ouverte notamment, par le cinéaste et auteur de Shoah, Claude Lanzmann qui accusera Yannick Haenel de falsifier l’Histoire.
Cette vive et complexe polémique aura redéployé la question suivante dans l’espace public et médiatique : l’histoire est-elle contenue uniquement dans les documents, les sources, les traces matérielles laissées par le passé ou est-il parfois nécessaire, comme l’affirme Y. Haenel, de recourir à la fiction, en tant que mode de connaissance particuliers qui excèdent ou complètent ceux de la « science historienne » ou l’approche documentaire ? A-t-on le droit de fictionnaliser l’histoire ?
A partir d’une conférence inaugurale sur les relations entre Histoire et Fiction, Aliocha Imhoff & Kantuta Quirós s’arrêteront sur la controverse Haenel, en tant qu’archive.
A la suite de nombreux procès et tribunaux fictifs, notamment initiés par certains artistes et cinéastes contemporains (Anton Vidokle, Olive Martin & Patrick Bernier, Marcel Hanoun, Jean-Stéphane Bron, Abderrahmane Sissako, sans compter les incontournables procès surréalistes menés notamment par André Breton dans les années 1930), ce workshop se propose de déployer à partir d’une esthétique judiciaire, un espace verbal spéculatif, situé entre fiction et réalité.
Le procès est ici à envisager comme une exposition, permettant de spatialiser la pensée, de déplier les arguments de ses acteurs, leurs nœuds et points d’achoppement, en créant un espace dialectique, traversé d’antagonismes et de confits, qui se substitue et interrompt le schéma classique de l’exposition comme juxtaposition complémentaire et homogène de propositions. Un dispositif dialogique et agonistique, voire diplomatique – l’exposition comme dialogue – qui juxtapose plusieurs approches contradictoires, tout en tendant, à l’image du processus judiciaire, de proposer une résolution.
Au travers de la présentation de documents et de témoignages, la cour et les jurés ainsi constitués par les étudiants de la HEAD déterminera du droit à fictionnaliser l’Histoire ainsi que de la responsabilité de l’artiste et de l’écrivain. Le cinquième jour du workshop constituera le moment de tournage de ce procès en tant qu’exposition collective, display d’une polémique, cartographie d’une controverse.
Cet événement fait partie de la série « Contre Histoire », à l’invitation de Bruno Serralongue et Frank Westermeyer – Département Information – Fiction
https://head.hesge.ch/information-fiction/workshop-avec-le-peuple-qui-manque/