Hervé Guibert
La pudeur ou l’impudeur de Hervé Guibert (1992, 58 min)
La pudeur ou l’impudeur, réalisée en 1991, lors des deux dernières années de vie de l’écrivain Hervé Guibert, constitue un journal vidéo du sida. Dans ce film sidérant, Guibert fait entrer dans le champ de la représentation son expérience minoritaire de la maladie et déplace la découpe politique entre pudeur et impudeur, les normes du dicible, une distribution du nommable, du regardable, des normes de la vérité. Bien que ne se revendiquant pas directement d’une démarche politique, le cinéma de Guibert aura rendu possible la figuration de corps malades, qui étaient jusque-là, et notamment dans leur quotidienneté, exilés en-deçà du champ du visible, participant de ce que Michel Foucault a appelé « l’insurrection des savoirs assujettis ». Le malade lui-même, jusque là objet du savoir médical, devenait sujet, produisant un discours et des images qui retournent le point d’énonciation et renversent les dispositifs de la représentation. En se mettant lui-même en scène, en abolissant l’opposition classique filmeur / filmé, auteur / sujet, et en se déplaçant sur le terrain de l’autofiction, le cinéma de Guibert, reconfigure complètement le cadre éthique de la représentation. La pudeur ou l’impudeur constitue alors un seuil dans l’histoire du cinéma documentaire, Guibert échappant ainsi par l’auto-narration au dispositif injonctif du témoignage, dont il n’aurait probablement pas pu s’extraire dans le cadre du dispositif documentaire classique. (Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff)
David Wojnarowicz
Sex series and others de David Wojnarowicz, Marion Scemama et François Pain (1989-1998, 30′)
« Lorsqu’on m’a appris que j’avais contracté ce virus, j’ai tout de suite compris que c’était surtout le virus de cette société malade que j’avais contracté » (David Wojnarowicz)
Exhortation à l’action, dissection des mécanismes de pouvoir, la puissance des images de David Wojnarowicz, – écrivain, vidéaste, photographe, plasticien, performeur néo-beat de l’East Village et figure importante de la new wave new-yorkais (parmi Nan Goldin, Richard Kern, Lydia Lunch ou Kathy Acker…) – tient au chiasme singulier qu’il noua entre expérience subjective et collective, faisant de son expérience du sida un prisme d’analyse politique de la machine capitaliste, impérialiste et puritaine de l’Amérique de la fin des années 1980, « la nation monoclanique » comme Wojnarowicz l’appelait. « Je brise les chaînes mentales/physiques qui m’asservissent au code linguistique. » écrivait-il. La prose furieuse et flamboyante de ses spoken words et de ses chroniques filmées œuvrant à déplacer et réinventer le dicible, contribuèrent à une reconfiguration des discours et images efficients sur le sida dans l’espace social. La série des Sex Series and others, co-réalisée avec les cinéastes Marion Scemama et François Pain résulte de leur longue amitié, et laisse se dessiner les rêves et cauchemars de Wojnarowicz, sa rage devant le traitement que réserve « l’usine à tuer américaine » aux marginaux et laissés-pour-compte du rêve américain. (Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff)
« C’est parce que l’œuvre créatrice de David Wojnarowicz procède de toute sa vie qu’elle a acquis une pareille puissance. Alors que tout semble dit et redit, quelque chose émerge du chaos de David Wojnarowicz qui nous place devant notre responsabilité d’être pour quelque chose dans le cours du mouvement du monde. » Félix Guattari
Distribution le peuple qui manque
Guillaume Dustan
« Guillaume Dustan est né en 1995, ou 96, en écrivant, puis en publiant, Dans ma chambre (P.O.L, septembre 1996). Avant, il y avait une autre personne, très malheureuse. Dépressive, séropositive. Après il y avait toujours la dépression et la séroposition, mais ça allait déjà mieux. Une appréciation paranoïaque et mégalomane du retentissement de son premier ouvrage ayant conduit Guillaume à quitter son emploi, il se hâta d’écrire pour faira avancer sa nouvelle carrière. Je sors ce soir (P.O.L, septembre 1997) ne fut pas le best-seller pour lequel il avait si souvent consulté l’oracle, mais contribua à affermir son image de jeune écrivain gay à suivre. Ayant dépensé en extasys et en téquilas-champagne tout l’argent de la bourse qu’il avait reçue du Centre national du livre, Guillaume se trouva bien dépourvu à la fin de l’année (et en plus il avait une grosse bronchite qui ne se soignait pas à cause de ses excès). Sans se décourager, il proposa à son éditeur, P.O.L, de créer une collection de livres gay qui pourrait le faire bouffer (lui, Guillaume). P.O.L le dirigea vers Balland, maison amie. Nouvelle casquette pour G.D. Retiré chez sa mère, à la campagne, G. écrivit son troisième roman, tout aussi purement autobiographique que les deux premiers: Plus fort que moi parut en juin 1998 (toujours chez P.O.L). A l’automne, G.D. lançait les grandes manoeuvres pour le centre communautaire qu’il voulait créer, la Gaie maison pour tout le monde. En janvier 1999 il publiait Nicolas Pages, son premier véritable succès de librairie. En février de la même année, la collection chez Balland (Rayon Gai) démarrait. En 2000, G.D. réalisait son premier film, centré sur la figure dudit Nicolas Pages, écrivain et artiste conceptuel (et ami de G.D.), ainsi que sur celle de Nan Goldin (R House, coproduit par Postmodern classic videos et Arte). L’an 2000 fut une grande année pour G.D., d’abord avec la sortie d’Innocente, son premier best-seller (400 000 ex.). Puis avec l’ouverture de la Gaie maison, sous les auspices éclairés d’Elisabeth Lebovici, sa première présidente. G.D. annonça sa décision de renoncer à l’écriture. En 2003 sortit son premier long-métrage, Rajneesh, produit par Jodie Foster et joué par Bill Clinton (…). » G.D.
Enjoy (back to Ibiza) de Guillaume Dustan (2001, 120’)
Poub(elle) de Guillaume Dustan (2002, 60’)
Nietzche de Guillaume Dustan (2002, 60′)
Distribution le peuple qui manque
Funérailles politiques
Funérailles politiques, conduites par ACT UP / New York
Filmées par James Wentzy
AIDS Community Television (série hebdomadaire n ° 109)
DIVA TV (Damned Interfering Video Activists)
David Wojnarowicz Funeral, filmé par James Wentzy (1992, 29 min)
Une semaine après la mort de l’artiste David Wojnarowicz, Act Up New York, dont Wojnarowicz était proche, organisa une manifestation. L’enterrement de l’artiste, le Mercredi 29 Juillet 1992, fut un symbole de la lutte menée par Act Up, un symbole violent que David Wonarowicz avait lui-même appelé de ses vœux lorsqu’il écrivait un an auparavant: « Transformer notre deuil privé de la perte d’amis, famille, amants et étrangers en quelque chose de public servirait comme un autre outil puissant de démantèlement. Il dissiperait l’idée que ce virus a une orientation sexuelle ou un code moral. Il réduirait à néant la croyance que le gouvernement et la communauté médicale ont beaucoup fait pour atténuer la propagation ou l’avancée de cette maladie. Une des premières étapes pour rendre public le deuil privé est le rituel des mémoriaux. J’ai aimé la façon dont les mémoriaux transforment l’absence d’un être humain en la rendant en quelque sorte physique par l’utilisation du son. J’ai assisté à un certain nombre de mémoriaux ces cinq dernières années et lors du dernier auquel j’ai assisté j’ai soudain ressenti quelque chose qui s’apparente à de la rage. J’ai réalisé, à mi-parcours de l’événement, que j’avais vu un bon nombre des mêmes personnes ayant participé à d’autres mémoriaux antérieurs. Ce qui me mit en colère fut de réaliser que le mémorial avait peu de réverbération extérieure à la salle où il était prononcé. Une publicité télévisée pour les chiffons a un impact plus important sur la société au sens large. Je me levais et partis parce que je pensais ne pas pouvoir contrôler mon envie de hurler. Il y a, pour les personnes touchées par cette épidémie, une tendance à la police de l’autre ou à prescrire ce que seraient les gestes les plus importants pour faire face à cette expérience de la perte. Je n’apprécie pas cela. Dans le même temps, je crains que des amis deviennent lentement des porteurs de cercueil professionnels, attendant chaque mort, de leurs amants, amis et voisins, et fignolant leurs oraisons funèbres; perfectionnant leurs rituels de mort plutôt qu’un rituel de vie relativement simple, tel que crier dans les rues. Je m’inquiète à cause de l’urgence de la situation, car voyant la mort venir en provenance des bords de l’abstraction, où ceux qui ont le luxe du temps l’ont jetée. Imaginons que les proches organisent une manifestation chaque fois qu’un amant, un ami ou un inconnu meurt du sida. Imaginons qu’à chaque fois qu’un amant, un ami ou un inconnu meurt de cette maladie ses amis, ses amants ou ses voisins s’emparent du corps pour foncer vers Washington DC et franchissent en trombe le portail de la Maison-Blanche et s’arrêtent dans un crissement de pneus pour déposer le linceul sans vie sur les marches du perron. Qu’il serait réconfortant de voir ces amis, ces voisins, ces amants et ces inconnus marquer le lieu et l’époque et l’histoire d’une pierre blanche.« -. David Wojnarowicz
The Ashes Action, 1992
& Political Funerals de Mark Lowe Fisher, Tim Bailey, Jon Greenberg et Aldyn McKean (27 min)
Ashes action
Apportez votre douleur et votre rage à propos du sida à des Funérailles politiques à Washington DC dimanche 11 Octobre 1992 à 13h00
«Vous avez perdu quelqu’un à cause du SIDA.
«Depuis plus de dix ans, votre gouvernement a raillé votre perte.
«Vous avez parlé de colère, avez rejoint les manifestations politiques, réalisé de faux cercueils et fausses pierres tombales, et éclaboussé de peinture rouge pour représenter le sang de qu’un de séropositif, le vôtre peut-être.
« George Bush estime que les portes de la Maison Blanche le protègent de vous, de votre perte, et de sa responsabilité dans la crise du sida.
«Maintenant il est temps d’apporter le SIDA au domicile de George Bush.
« Le 11 Octobre, nous amènerons les vraies cendres de personnes que nous aimons dans un cortège funèbre à la Maison Blanche. Dans un acte de douleur et de rage et d’amour, nous déposerons leurs cendres sur la pelouse de la Maison Blanche.
« Rejoignez-nous pour protester contre le sida et douze ans de politique génocidaire. »
James Wentzy est l’un des vidéastes activistes contre le sida les plus prolifiques, ayant produit plus de 150 programmes pour les télévisions communautaires. L’action Ashes (Cendres) documente une protestation d’ACT UP à Washington DC en Octobre 1992. Motivés par le désir exprimé par plusieurs militants que « leur corps soit, après leur mort, utilisé dans une visée politique », ACT UP a organisé une marche vers la pelouse de la Maison Blanche, pour répandre des cendres de leurs proches directement sur la pelouse comme une protestation face à l’inaction de la Maison Blanche vis-à-vis du sida. Les Funérailles Politiques et l’action Ashes sont parmi les plus belles actions d’Act Up. Le rythme et le montage sont élégiaques, automnaux. Le plus remarquable est la manière répétitive dont Wentzy montre le moment culminant de la marche. Cette scène apparaît à quatre reprises différentes dans la vidéo et gagne en puissance émotionnelle à chaque fois qu’il est répété.
DIVA TV
Like a Prayer, stop the church de DIVA TV (28min, 1990)
A sa création en 1987, ACT UP/New York initiait un activisme spectaculaire, utilisant la puissance symbolique des corps dans l’espace public. S’inscrivant dans le mouvement de la désobéissance civile mais repensée à partir des politiques minoritaires, il constituait le début de manifestations d’un nouveau genre et d’une nouvelle manière de faire de la politique : à la première personne, provocante, directe et étonnamment efficace et joyeuse. Like a prayer est une vidéo produite par DIVA TV (Damned Interfering Video Activists), réseau de vidéastes new-yorkais pionnier fondé en 1989, qui documenta et filma les actions d’Act up, à la limite entre intervention artistique et politique. Selon le credo de DIVA TV, les militants produisaient eux-mêmes leur propre version d’un évènement, prenant ainsi le contrôle de leur propre histoire. (Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff)
Rosa von Praunheim
Silence = Death de Rosa von Praunheim (55min, 1990)
Silence = Death, constitue la première partie d’une trilogie consacrée, par le célèbre réalisateur allemand Rosa von Praunheim, au sida et à la génération de performers, plasticiens, vidéastes, qui illumina la scène de l’underground new yorkais des années 80. Le collectif de plasticiens Gran Fury développe un « activisme culturel » inédit au sein de l’espace médiatique et du monde de l’art. L’artiste et graffiteur culte Keith Haring y rend compte de son art public et graphique mis au service de la lutte ; la prose flamboyante des spoken word (performances) de l’écrivain néo-beat de l’East Village, David Wojnarowicz, innerve l’ensemble du film, ainsi que la présence d’Allen Ginsberg et de nombreux autres artistes. Rosa von Praunheim, écrivain et cinéaste culte et prolifique, est une figure historique du mouvement de libération gaie en Allemagne. Il a réalisé de nombreux films autour de la culture underground et queer. (Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff)
ACT UP / Paris
Act up – On ne tue pas que le temps de Christian Poveda (1996, 90 min)
Formidable regard porté, de l’intérieur, sur les actions et les militants d’Act Up, On ne tue pas que le temps est un film de cinéma direct, qui n’oublie pas le slogan « Silence=mort ».
Photographe et documentariste de talent franco-espagnol, Christian Poveda s’était fait connaître comme photojournaliste, en 1977. En 1990, après avoir quitté le photojournalisme, il décidait de se consacrer entièrement à la réalisation de documentaires. Le cinéaste signait ainsi On ne tue pas que le temps en 1996 et Voyage au bout de la droite en 1998. Dix ans plus tard, il réalisait sa dernière œuvre en tant que cinéaste, un documentaire long métrage remarquable, « de l’intérieur », sur les gangs au Salvador intitulé La vida loca. Il était assassiné au Salvador en septembre 2009, peu avant la sortie du film. Pour Act Up-Paris, Christian Poveda a été plus qu’un journaliste, un compagnon de route. Une production de la compagnie des Phares et Balises